Le
Prophète Muhammad (PSL) venait d’apprendre qu’une caravane
menée par Abû Sufyan b. Harb, chef
du clan Omeyyade, s’en revenait de Syrie avec une grande quantité de produits
et de biens. La majorité des Quraysh avait
une part dans cette expédition commerciale. Le Prophète Muhammad (PSL) décida de l’intercepter avec à l’esprit
au moins deux raisons :
-
La première était liée à cette volonté de
récupérer l’équivalent de biens que les Quraysh
avaient spoliés aux musulmans après leur départ de la Mecque
-
La seconde consistait en une démonstration
de force destinée à impressionner les Quraysh
qui multipliaient leur complot contre Médine.
« Voici les chameaux de Koreich. Elle porte leurs biens, attaquez-la, Allah vous accordera peut-être ces denrées en butin. » (Ibn Hîcham et Tabarî)
Le
Prophète Muhammad (PSL) se mit en route à la tête de trois cent neuf compagnons (ou trois cent treize selon les sources)
composés des Emigrés (Muhâjîrun) et
des Auxiliaires (Ansâr). Chaque
groupe portait sa propre bannière. Toutes deux de couleur noire. Ils emportaient avec eux un matériel
considérable du fait de l’importance de
la caravane. Ils n’étaient pas cependant équipés pour la guerre.
Le
Prophète Muhammad (PSL) avait demandé à ‘Uthman ibn ‘Affân de rester au chevet de son épouse Ruqayya, la fille du Prophète (PSL). Elle était malade.
Abû
Sufyân, de son côté, eut vent des préparatifs de l’attaque par
ses propres espions. Il changea d’itinéraire tout en envoyant un émissaire aux
chefs de la Mecque pour les informer du danger et demander de l’aide.
Le
Prophète Muhammad (PSL) pensait couper la route de la
caravane à Badr. Mais Abû Suyan
avait pris de l’avance et avait réussi en fait à échapper à l’attaque. Il
envoya tout de suite un nouvel émissaire aux chefs qurayshites pour leur
annoncer qu’il n’y avait plus de danger et qu’il n’était plus besoin d’envoyer
du secours. Les chefs qurayshites s’étaient déjà mis en route à la tête de
plus de mille hommes. Ils décidèrent,
sous l’influence appuyée d’Abû Jahl,
qu’il fallait poursuivre l’expédition malgré l’apparence absence de menace.
Même si la confrontation pouvait être
évitée, il s’agissait pour eux d’exposer
à leur tour leur ennemi à une démonstration de force.
Le
Prophète Muhammad (PSL) et ses compagnons, ayant installés
leur campement près de Badr, apprirent
qu’une imposante armée s’était mise en route depuis la Mecque. La perspective était en train de changer. Ils avaient
quitté Médine avec l’intention de
mettre la main sur une caravane, et voici que venait à eux une armée trois fois
plus nombreuse que leur contingent. Les chefs des Qurayshites semblaient bien décidés à en découdre. Il s’agissait
désormais d’une guerre à laquelle, au fond,
les musulmans ne s’étaient point préparés.
Le
Prophète Muhammad (PSL) se demandait s’il fallait avancer
encore pour tenter d’atteindre la caravane, où s’il fallait s’arrêter et s’en retourner
pour ne pas courir le risque de rencontrer l’imposante armée des Qurayshites. Il
décida de consulter ses compagnons afin de connaître leur opinion. C’est Abû Bakr et ‘Umar qui prirent d’abord la parole et confirmèrent qu’ils étaient
d'accord d’avancer et de prendre le risque de la confrontation directe, de la guerre. Un
autre Emigré, al-Miqdâd ibn ‘Amr,
dit :
« Va donc toi et ton Seigneur et combattez ; et avec vous nous combattrons aussi, sur la droite et sur la gauche, devant toi et derrière toi. » (Ibn Hichâm, op. cit., vo. 3, p. 161)
Cette attitude réconforta
et réjouit le Prophète (PSL). Mais c’était
bien l'attitude à laquelle il pouvait naturellement s’attendre de la part des Muhâjîrun. C’était du côté des Ansâr qu’il fallait un soutien
explicite, car ceux-ci n’étaient pas directement concernés par le conflit avec
les Quraysh.
D’après Ibn Hichâm, le Prophète Muhammad (PSL) craignait que les Ansâr, qui n’avaient, d’après le
pacte d’Aqaba, que l’obligation de les protéger sur leur propre territoire,
ne voulussent pas passer à l’offensive. Mais le chef des Médinois de souche, Sa’ad b. Ma’az, le rassura :
« Nous avons cru en toi, nous avons foi en toi. Et nous avons porté témoignage que ce que tu nous as enseigné est la Vérité. Sur cette base, nous nous sommes engagés à t’écouter et à t’obéir. Dirige nous vers là où tu veux qu’on aille, Ô Messager d’Allah, nous sommes tous derrière toi » Ibn Hichâm, Ibid., p. 162)
Sa’ad reçut
l’approbation des Ansâr, et le Prophète Muhammad (PSL) avait ainsi
obtenu le consentement des deux clans. Il décida donc d’avancer et de ne point se
laisser impressionner par les manœuvres des Quraysh.
Le
Prophète Muhammad (PSL) ne cessait de consulter ses compagnons
dans chacune des circonstances de sa mission. Il les incitait à exprimer leur
opinion et il les écoutait attentivement. En amont de ces débats et de cette
écoute, le Prophète (PSL) avait
élaboré une véritable pédagogie au moyen de laquelle il permettait aux
musulmans de développer leur esprit critique, de manifester leur compétence et
de s’épanouir en sa présence. Il lui arrivait souvent de poser des questions sur
des sujets variés, et il donnait la réponse qu’après que ses compagnons eurent réfléchi
et fait diverses conjectures :
« Savez-vous qui est l’homme ruiné (en faillite) muflis ? »
Ils lui répondirent :
« Il s’agit de celui qui ne possède ni bien, ni argent. »
Le Prophète Muhammad (PSL)
leur dit :
« L’homme ruiné de ma communauté est celui qui, le jour du jugement, aura à son actif des jeunes, des prières, des aumônes mais qui aura, par ailleurs, calomnié un tel, volé l’argent d’un autre, versé le sang de celui-ci et frappé celui-là, si bien qu’on lui prendra ses bonnes actions pour les distribuer à ses victimes. Quand il n’aura plus d’œuvres pieuses à son actif, et avant même qu’il ne purge sa peine, on le chargera des péchés de ses victimes avant de le jeter en enfer. » (Hadith rapporté par Muslim)
Parfois, plus subtilement
il énonçait un jugement dont la forme était paradoxale et qui, de fait,
obligeait son interlocuteur à une
réflexion plus poussée.
« L’homme fort n’est point celui-ci qui renverse son ennemi ! » Disait le Prophète (PSL)
Devant cet énoncé, les
compagnons se questionnaient et le questionnaient :
« Qui est donc l’homme fort ? »
Et le Prophète de
surprendre son auditoire en le poussant à approfondir la compréhension des
questions autant que des réponses :
« L’homme est celui qui se maîtrise alors qu’il est en colère. » (Hadith rapporté par Bukhari et Muslim)
Les propos étaient parfois
figurés :
« La richesse n’est point dans les biens que l’on possède ! »
Les compagnons
réfléchissaient puis s’entendaient dire :
« La vraie richesse est la richesse de l’être (de l'âme). »
En d’autres circonstances,
l’énoncé paraissait clairement aller contre le bon sens de l’éthique :
« Aide ton frère qu’il soit juste ou injuste ! »
Les compagnons ne
pouvaient pas manquer de s’interroger sur la nature du soutien à offrir au
frère injuste : comment pouvait-il être !? Et le Prophète Muhammad (PSL) ajoutait :
« Empêche-le (le frère injuste) d’accomplir son injustice, ce sera ton soutien en son égard ! » Hadith rapporté par Bukhari
En posant des questions
tout comme en formulant des propositions ou des jugements paradoxaux ou contradictoires,
le Prophète Muhammad (PSL) stimulait
le sens critique de ses compagnons et la capacité d’aller au-delà de la simple
obéissance aveugle ou de l’imitation mécanique.
Cette méthode développait
les qualités intellectuelles nécessaires à l’efficacité des consultations. En
effet, pour que celles-ci soient effectives, il fallait que les compagnons
soient intellectuellement éveillés, autonomes et audacieux. Et ceci même en
présence du Prophète Muhammad (PSL)
dont la personnalité et le statut les impressionnaient forcément.
Par cette façon de
stimuler l’intelligence et de distribuer la parole, il exerçait une autorité
qui offrait à ses compagnons la possibilité de se former, de s’affirmer et de
prendre des initiatives.
Yathrib 786
Le 25 mars 2018