25 mars 2018

Vers la guerre de Badr


Le Prophète Muhammad (PSL) venait d’apprendre qu’une caravane menée par Abû Sufyan b. Harb, chef du clan Omeyyade, s’en revenait de Syrie avec une grande quantité de produits et de biens. La majorité des Quraysh avait une part dans cette expédition commerciale. Le Prophète Muhammad (PSL) décida de l’intercepter avec à l’esprit au moins deux raisons :

-        La première était liée à cette volonté de récupérer l’équivalent de biens que les Quraysh avaient spoliés aux musulmans après leur départ de la Mecque
-        La seconde consistait en une démonstration de force destinée à impressionner les Quraysh qui multipliaient leur complot contre Médine.


« Voici les chameaux de Koreich. Elle porte leurs biens, attaquez-la, Allah vous accordera peut-être ces denrées en butin. » (Ibn Hîcham et Tabarî)


Le Prophète Muhammad (PSL) se mit en route à la tête de trois cent neuf compagnons (ou trois cent treize selon les sources) composés des Emigrés (Muhâjîrun) et des Auxiliaires (Ansâr). Chaque groupe portait sa propre bannière. Toutes deux de couleur noire.  Ils emportaient avec eux un matériel considérable  du fait de l’importance de la caravane. Ils n’étaient pas cependant équipés pour la guerre.

Le Prophète Muhammad (PSL) avait demandé à ‘Uthman ibn ‘Affân de rester au chevet de son épouse Ruqayya, la fille du Prophète (PSL). Elle était malade.

Abû Sufyân, de son côté, eut vent des préparatifs de l’attaque par ses propres espions. Il changea d’itinéraire tout en envoyant un émissaire aux chefs de la Mecque pour les informer du danger et demander de l’aide.

Le Prophète Muhammad (PSL) pensait couper la route de la caravane à Badr. Mais Abû Suyan avait pris de l’avance et avait réussi en fait à échapper à l’attaque. Il envoya tout de suite un nouvel émissaire aux chefs qurayshites pour leur annoncer qu’il n’y avait plus de danger et qu’il n’était plus besoin d’envoyer du secours. Les chefs qurayshites s’étaient déjà mis en route à la tête de plus  de mille hommes. Ils décidèrent, sous l’influence appuyée d’Abû Jahl, qu’il fallait poursuivre l’expédition malgré l’apparence absence de menace. Même si la confrontation  pouvait être évitée, il s’agissait pour eux d’exposer  à leur tour leur ennemi à une démonstration de force.

Le Prophète Muhammad (PSL) et ses compagnons, ayant installés leur campement près de Badr, apprirent qu’une imposante armée s’était mise en route depuis la Mecque. La perspective était en train de changer. Ils avaient quitté Médine avec l’intention de mettre la main sur une caravane, et voici que venait à eux une armée trois fois plus nombreuse que leur contingent. Les chefs des Qurayshites semblaient bien décidés à en découdre. Il s’agissait désormais d’une guerre à laquelle, au fond,  les musulmans ne s’étaient point préparés.

Le Prophète Muhammad (PSL) se demandait s’il fallait avancer encore pour tenter d’atteindre la caravane, où s’il fallait s’arrêter et s’en retourner pour ne pas courir le risque de rencontrer l’imposante armée des Qurayshites. Il décida de consulter ses compagnons afin de connaître leur opinion. C’est Abû Bakr et ‘Umar qui prirent d’abord la parole et confirmèrent qu’ils étaient d'accord d’avancer et de prendre le risque de la confrontation directe, de la guerre. Un autre Emigré, al-Miqdâd ibn ‘Amr, dit :


« Va donc toi et ton Seigneur et combattez ; et avec vous nous combattrons aussi, sur la droite et sur la gauche, devant toi et derrière toi. » (Ibn Hichâm, op. cit., vo. 3, p. 161)


Cette attitude réconforta et réjouit le Prophète (PSL). Mais c’était bien l'attitude à laquelle il pouvait naturellement s’attendre de la part des Muhâjîrun. C’était du côté des Ansâr qu’il fallait un soutien explicite, car ceux-ci n’étaient pas directement concernés par le conflit avec les Quraysh

D’après Ibn Hichâm, le Prophète Muhammad (PSL) craignait que les Ansâr, qui n’avaient, d’après le pacte d’Aqaba, que l’obligation de les protéger sur leur propre territoire, ne voulussent pas passer à l’offensive. Mais le chef des Médinois de souche, Sa’ad b. Ma’az, le rassura :


« Nous avons cru en toi, nous avons foi en toi. Et nous avons porté témoignage que ce que tu nous as enseigné est la Vérité. Sur cette base, nous nous sommes engagés à t’écouter et à t’obéir. Dirige nous  vers là où tu veux qu’on aille, Ô Messager d’Allah, nous sommes tous derrière toi » Ibn Hichâm,  Ibid., p. 162)


Sa’ad reçut l’approbation des Ansâr, et le Prophète Muhammad (PSL) avait ainsi obtenu le consentement des deux clans. Il décida donc d’avancer et de ne point se laisser impressionner par les manœuvres des Quraysh.

Le Prophète Muhammad (PSL) ne cessait de consulter ses compagnons dans chacune des circonstances de sa mission. Il les incitait à exprimer leur opinion et il les écoutait attentivement. En amont de ces débats et de cette écoute, le Prophète (PSL) avait élaboré une véritable pédagogie au moyen de laquelle il permettait aux musulmans de développer leur esprit critique, de manifester leur compétence et de s’épanouir en sa présence. Il lui arrivait souvent de poser des questions sur des sujets variés, et il donnait la réponse qu’après que ses compagnons eurent réfléchi et fait diverses conjectures :


« Savez-vous qui est l’homme ruiné  (en faillite) muflis ? »

Ils lui répondirent :


«  Il s’agit de celui qui ne possède ni bien, ni argent. »

Le Prophète Muhammad (PSL) leur dit :


« L’homme ruiné de ma communauté est celui qui, le jour du jugement, aura à son actif des jeunes, des prières, des aumônes mais qui aura, par ailleurs, calomnié un tel, volé l’argent d’un autre, versé le sang de celui-ci et frappé celui-là, si bien qu’on lui prendra ses bonnes actions pour les distribuer à ses victimes. Quand il n’aura plus d’œuvres pieuses à son actif, et avant même qu’il ne purge sa peine, on le chargera des péchés de ses victimes avant de le jeter en enfer. » (Hadith rapporté par Muslim)


Parfois, plus subtilement il énonçait un jugement dont la forme était paradoxale et qui, de fait, obligeait son interlocuteur  à une réflexion plus poussée.


« L’homme fort n’est point celui-ci qui renverse son ennemi ! » Disait le Prophète (PSL)


Devant cet énoncé, les compagnons se questionnaient et le questionnaient :


« Qui est donc l’homme fort ? »


Et le Prophète de surprendre son auditoire en le poussant à approfondir la compréhension des questions autant que des réponses :


« L’homme est celui qui se maîtrise alors qu’il est en colère. » (Hadith rapporté par Bukhari et Muslim)


Les propos étaient parfois figurés :


« La richesse n’est point dans les biens que l’on possède ! »


Les compagnons réfléchissaient puis s’entendaient dire :

« La vraie richesse est la richesse de l’être (de l'âme). »

En d’autres circonstances, l’énoncé paraissait clairement aller contre le bon sens de l’éthique :

« Aide ton frère qu’il soit juste ou injuste ! »

Les compagnons ne pouvaient pas manquer de s’interroger sur la nature du soutien à offrir au frère injuste : comment pouvait-il être !? Et le Prophète Muhammad (PSL) ajoutait :

«  Empêche-le (le frère injuste) d’accomplir son injustice, ce sera ton soutien en son égard ! » Hadith rapporté par Bukhari

En posant des questions tout comme en formulant des propositions ou des jugements paradoxaux ou contradictoires, le Prophète Muhammad (PSL) stimulait le sens critique de ses compagnons et la capacité d’aller au-delà de la simple obéissance aveugle ou de l’imitation mécanique. 

Cette méthode développait les qualités intellectuelles nécessaires à l’efficacité des consultations. En effet, pour que celles-ci soient effectives, il fallait que les compagnons soient intellectuellement éveillés, autonomes et audacieux. Et ceci même en présence du Prophète Muhammad (PSL) dont la personnalité et le statut les impressionnaient forcément. 

Par cette façon de stimuler l’intelligence et de distribuer la parole, il exerçait une autorité qui offrait à ses compagnons la possibilité de se former, de s’affirmer et de prendre des initiatives.

Yathrib 786
Le 25 mars 2018

18 mars 2018

Le changement de Qibla : nouvelle orientation pour la prière




Les musulmans étaient à Médine depuis un an et demi. Les musulmans se tournaient jusqu’alors à Jérusalem pour prier.


«  Nous t’avons vu souvent interroger le ciel du regard. Aussi t’orientons-Nous dorénavant vers une direction qui te sera agréable. Tourne donc ta face vers la Mosquée sacrée. ! Et vous, croyants, où que vous soyez, tournez-vous dans cette même direction ! Quant à ceux qui ont reçu l’Ecriture, ils savaient parfaitement que cette vérité émane du Seigneur qui n’est point inattentif à leur comportement. » (Sourate 2 Baqara, verset 144)


Ce verset contenait plusieurs messages et allaient avoir des conséquences sur les relations que le Prophète Muhammad (PSL) entretenait avec les tribus juives et chrétiennes.

Ce changement établissait une distinction et une distance entre les traditions monothéistes. Si la place de Jérusalem était centrale dans la religion musulmane, la nouvelle orientation de la prière rétablissait un lien rituel et spirituel entre Abraham (la première maison fondée pour l’adoration de l’Unique) et le monothéisme de l’Islam. Les musulmans s’en réjouirent et le comprirent comme un retour à l’origine.

« Tourner sa face », c’était « tourner son être », « tourner son cœur », vers la Source, l’Origine, le Dieu Unique, Dieu d’Abraham, de l’Univers et de l’humanité, et la Kaba renouait ainsi avec la fonction première de son édification : sur la terre, elle était la maison de Dieu, le centre vers lequel se tourneraient désormais toutes les intimités,  toutes les périphéries et toutes les mosquées.

Les tribus juives étaient loin de partager cette satisfaction. Depuis le début de l’installation des musulmans à Médine, elles avaient eu des attitudes parfois contradictoires entre la reconnaissance de la foi en un Dieu unique, les signatures des pactes mais aussi plus secrètement le doute et la crainte du danger face à l’expansion de la nouvelle religion. Le Prophète Muhammad (PSL) avait déjà eu vent  de contacts établis entre certaines tribus juives et des alliés des Quraysh. La méfiance régnait, et la Révélation de ce verset cité plus haut n’était pas de nature à apaiser les dignitaires juifs de Médine. Puisque le monothéisme professait par le Prophète Muhammad (PSL) semblait clairement se distinguer du message du judaïsme.

Le changement de Qibla était non moins significatif pour les habitants de la Mecque. La ville trouvait une centralité dans le message de l’Islam. Cette décision pouvait faire craindre de futures visées musulmanes sur la cité et le sanctuaire. Les Quraysh ne pouvaient l’admettre, et il était désormais clair que seule la cessation de la mission du Prophète Muhammad (PSL) pouvait les protéger et leur assurer le maintien de privilèges historiques si difficilement acquis.

Yathrib 786
Le 18 mars 2018

04 mars 2018

La confrontation imminente avec les Quraysh




Pendant près d’une année, le Prophète Muhammad (PSL) avait établi des pactes avec quelques tribus habitant le long du littoral de la Mer Rouge, sur la route qu’empruntaient les caravanes de la Mecque se rendant dans le Nord (Iraq ou Syrie). Ce qui gênait les Quraysh qui devaient cherchaient de nouvelles voies d’accès par l’Est. La tension ne cessait de monter. Le prétexte de l’attaque effectuée durant le mois sacré était un prétexte pour salir la réputation des émigrés et de mobiliser contre eux les tribus alentour. La confrontation paraissait imminente.

L’Islam naissant ne pouvait survivre et se développer que par la guerre. Il avait besoin de celle-ci pour étendre sa domination là où la persuasion n’avait pas donné de résultats escomptés. L’Islam avait également de biens nécessaires à l’édification de sa propre société chaque jour plus exigeante et plus complexe.

De son côté, la Mecque avait aussi besoin de la guerre. Il lui fallait à tout prix éliminer le Prophète Muhammad (PSL)  et les siens, de crainte que l’importance grandissante de Médine ne portât un coup fatal à son commerce. Le Prophète Muhammad (PSL) connaissait assez bien ses anciens concitoyens pour savoir qu’ils l’attaqueraient à la première occasion. Il le savait et il se préparait à la confrontation s’apprêtant à déclencher l’une de ces opérations qu’on qualifierait de «préventive ».

Pendant cette période, le Prophète allait recevoir coup sur coup deux Révélations de nature totalement différente mais dont les conséquences devaient, dans les deux cas, marquer une rupture

Durant plus treize ans, les musulmans avaient été invités à la patience et à la résistance passive face à la persécution et la terreur des Quraysh. Ils avaient enduré, souffert et persévéré. Puis ils avaient émigré sans répondre aux agressions et en évitant la confrontation.

A présent que les musulmans étaient installés à Médine, il était évident que les Quraysh allaient intensifier leur opposition et se donner d’autres moyens de mettre fin à la mission du Prophète (PSL). Médine et la nouvelle cité Islamique menaçaient non plus  les équilibres internes de la cité de la Mecque mais aussi l’ordre protocolaire sur l’ensemble du territoire de la péninsule. C’était le statut des Quraysh vis-à-vis de tous les autres clans et tribus  qui étaient en péril. La période qui s’ouvrait allait être marqué par des conflits et des confrontations.


« L’autorisation de combattre [de se défendre] est donnée aux victimes d’une agression, qui ont été injustement opprimées et Dieu a tout pouvoir pour les secourirr, ceux qui ont été chassés de leurs foyers uniquement pour avoir dit : « Notre Seigneur est Dieu ! » (Sourate 22 verset 39-4)


Entendant ce verset, Abû Bakr affirmera plus tard qu’il avait compris, comme d’ailleurs le Prophète (PSL) et les compagnons, qu’il s’agissait de l’annonce de conflits et de guerres imminents. Dorénavant, il convenait non plus de résister passivement, mais de se défendre face aux agressions.

Les Jihâd de la spiritualité et de l’intelligence avaient consisté soit à résister aux attractions du moi égocentriques, avides ou violent, soit à répondre au moyen du Coran aux arguments des contradicteurs païens.  S’y ajoutait désormais une autre forme possible de Jihâd al-qitâl, en cas d’agression armée : la nécessaire résistance par les armes, la légitime défense, face à l’oppresseur.

Sur le plan du Qîtal, de la lutte armée, il s’agit aussi de résistance. Il est présenté à la fin du verset, comme une nécessité de la vie des hommes afin de résister aux naturelles velléités  expansionnistes et oppressives des êtres humains :


« Si Dieu ne repoussait pas certains peuples (oppresseurs) par d’autres, des ermitages auraient été démolis, ainsi que des synagogues, des oratoires et des mosquées où le nom de Dieu est souvent invoqué. Dieu assistera assurément ceux qui aident au triomphe de sa cause. Dieu est certes fort et puissant. »  (Sourate 22 verset 40)



« Si Dieu ne repoussait pas certains peuples (oppresseurs) par d’autres, la terre aurait été entièrement corrompue. »  (Sourate 2 verset 30)


« Vas-tu établir sur la terre qui[l’Homme] y fera régner le mal et y répandre le sang… » Sourate 2 verset 30)


Le Coran rappelle ainsi que par sa nature, l’homme est avide de pouvoir et enclin à répandre le mal et à tuer. Le Jihâd comme le qitâl sont-ils les voies qui, par la résistance aux tentations sombres de l’intimité comme aux velléités  guerrières des êtres humains, permettent d’accéder à la paix, fruit d’un effort toujours renouvelé pour maîtriser ses tentations comme ses oppresseurs.

L’essence du jihâd est la quête de la paix, le qitâl est le chemin parfois obligé de la paix.

Une ère nouvelle s’ouvrait pour les membres de la communauté musulmane de Médine. Des lendemains de guerres avec leurs lots de morts et de souffrances intensifiées par le fait que les ennemis étaient originellement de leurs clans, leurs propres parents. Leur survie était à ce prix.

Yathrib 786
Le 04 mars 2018