31 décembre 2017

Le sens de l’hégire



L’Hégire dont il s’agit est un cheminement vers Dieu, à l’instar du Prophète Ibrahim (Abraham) qui dit : 


« Moi, je pars vers mon Seigneur et Il me guidera » (Sourate 37, verset 99).


L’Hégire est donc tout d’abord un voyage spirituel, passer d’un état à un autre, de  l’état d’insouciance à l’état d’éveil, de la désobéissance à l’obéissance, de l’ignorance à la connaissance, de l’égarement à la guidance, transcender du niveau de l’islam vers  celui de la conviction de foi « al-imân » et de la conviction de foi vers l’excellence de la foi « al-ihsan ». A chaque  musulman correspond un état spirituel vers lequel il doit cheminer.

Le Prophète Muhammad (PSL) et l’ensemble de ses compagnons avaient dû quitter la Mecque à cause de persécutions et de l’adversité de leurs propres frères et sœurs au sein de leurs clans respectifs.

La situation était devenue intenable, des femmes et des hommes étaient morts, d’autres avaient été torturés. Et les Qurayshites avaient finalement décidé de s’en prendre au Prophète Muhammad (PSL).

L’émigration, l’Hégire (al-Hijra), c’est d’abord clairement la réalité objective de femmes et d’hommes croyants, à qui on ne laissait pas la liberté de pratiquer et de s’exprimer. Des musulmans qui ont décidé de tout quitter au nom de leur conscience. 


«La terre de Dieu est vaste » Sourate Az-zumar les Groupes 39, verset 10


Ils ont décidé de s’arracher à leurs racines, de rompre avec leur univers et leurs habitudes et de vivre l’exil au nom de leur foi et de la foi. La Révélation louera le courage et la détermination de ces croyants qui par leur geste si difficile et si humainement couteux, ont décidé d’exprimer leur confiance en Dieu :


«Ceux qui ont émigré pour Dieu après avoir subi des injustices, Nous leur affecterons un séjour agréable en ce monde, et leur rétribution dans la vie future sera encore plus belle, si seulement ils savaient Ceux qui ont patienté  et qui ont placé  leur confiance en leur Seigneur. » Sourate 16 AN-NAL LES ABEILLES verset 41-42


L’exil est donc une épreuve de la confiance en Dieu. Tous les Prophètes ont vécu des épreuves du cœur, et tous les croyants à leur suite. Jusqu’où ils sont prêts à aller, que sont-ils prêts à donner au péril de leur vie, pour l’Unique, Sa vérité et son Amour ? Telles sont les questions éternelles de la foi qui accompagnent chacune des expériences spirituelles, temporelles et historiques de la conscience croyante. L’Hégire fut une des réponses de la communauté musulmane à l’origine de son existence.

L’Hégire est également une leçon de fidélité. Il va exiger des premiers musulmans à garder la fidélité et la cohérence du message malgré les changements de lieu, de culture et de mémoire. Médine va impliquer d’autres habitudes, d’autres types de relations sociales et un nouveau rôle différent pour les femmes contrairement à la Mecque. Aux relations déjà complexes entre les tribus, il fallait ajouter la présence  influente et nouvelle pour les  musulmans des communautés juives et chrétiennes.

Dorénavant, la communauté musulmane, en moins de treize ans, va devoir, en suivant l’exemple du Prophète Muhammad (PSL), faire la part des choses entre ce qui relevait des principes islamiques et ce qui tenait davantage de la culture mecquoise. Les musulmans devaient rester fidèles aux premiers  tout en apprenant à être flexibles et critiques vis-à-vis de leur culture d’origine. Ils devaient même s’efforcer de réformer certaines de leurs habitudes plus culturelles qu’islamiques.

Une anecdote :
‘Umar Ibn Khattab l’apprit à ses dépens quand, après avoir réagi très sévèrement à la manière dont sa femme lui avait répondu (et qui était impensable à la Mecque), il s’entendit rétorquer qu’il devait le supporter et l’accepter de la même manière le Prophète (PSL) l’acceptait.
L’Hégire, l’exil, va révéler qu’il n’en est rien, et qu’il convient de questionner chacune de ses pratiques culturelles, d’abord au nom de la fidélité aux principes mais également afin de s’ouvrir aux autres cultures et de s’enrichir de leurs richesses.

Une deuxième anecdote :
Ainsi le Prophète Muhammad (PSL) apprenant qu’un mariage allait avoir lieu parmi les Ansâr  (les auxiliaires de Médine alors que les musulmans de la Mecque allaient désormais s’appeler les Muhâjirûn les Exilés), demanda à ce que deux chanteuses leur soient envoyées car, fit-il remarquer, ceux-ci aimaient le chant. Non seulement, il reconnaissait un trait, un goût culturel, qui, en soi n’était pas en contradiction avec les les principes islamiques. Le Prophète Muhammad (PSL) l’intégrait comme un apport positif et une richesse.

Au-delà de la fidélité, l’Hégire fut en cela une épreuve d’intelligence, invitée à distinguer entre les principes et leur manifestation culturelle avec, de surcroît, un appel à l’ouverture et à l’accueil confiant de nouvelles coutumes, de nouvelles façons d’être et de penser, de nouveaux goûts. L’universalité des principes se mariait avec l’impératif de la reconnaissance de la diversité des modes de vie et des cultures. L’expérience de l’Hégire est en soi une expérience profonde, une révolution puisqu’il s’agissait de s’arracher de ses racines tout en restant fidèles au même Dieu, au même message dans différents milieux.

L’exemple du Prophète Moise
Au-delà  de ces enseignements historiques et spirituelles, l’Hégire est également une expérience de la libération. Moïse avait libéré son peuple de l’oppression. Il l’avait mené vers la foi et vers la liberté. L’essence de l’Hégire est exactement de même nature. Persécutés à cause de leurs convictions, les croyants décidèrent de fuir la tutelle de leurs tortionnaires et d’entamer leur marche vers la liberté. Au fond l’équation est simple : dire Dieu impose d’être libre ou de se libérer. C’est déjà le message que le Prophète Muhammad (PSL) puis Abu Bakr avaient transmis à tous les esclaves de la Mecque. Leur entrée en islam signifiait leur libération. Tous les enseignements de l’Islam étaient tournés vers la fin de l’esclavage. C’est aussi un appel plus large lancé à la communauté universelle et spirituelle des musulmans : la foi exige la liberté et la justice. Il faut être prêt, comme ce fut le cas de l’Hégire, à en payer personnellement et collectivement le prix.

L’exemple du Prophète Abraham
Telle fut également l’attitude d’Abraham, que son neveu Loth fut l’un des seuls à croire et à reconnaître, lorsqu’il s’adressa à son peuple en ces termes :


« Et Abraham leur dit : « Vous n’avez adopté des idoles en dehors de Dieu que pour consolider, entre  vous, l’amour qui vous attache à ce bas monde ; mais, le jour de la Résurrection, vous vous renierez et vous vous maudirez les uns les autres. Et, sans pouvoir bénéficier d’aucun secours, vous aurez l’Enfer pour dernière demeure. »


Loth cru en lui et Abraham dit : 


« Je m’exile auprès de mon Seigneur  (innî muhâjirun ilâ Rabbî), car il est Lui, le Tout-puissant, le Sage. » Coran sourate 29 L'araignée (Al-Ankabut) verset 25-26


Se libérer par l’expérience de la rupture  telle est l’exigence de la Hijrâ.
Plus tard interrogé par compagnon sur le meilleure des Hijrâ, le Prophète (PSL) répondit : 


« C’est de s’exiler loin du mal. » hadith rapporté par Ahmad


Une troisième anecdote sur ‘Aïsha
L’Hégire physique, acte fondateur et axial de la première communauté islamique, a eu lieu et ne se renouvellera pas, comme l’exposera ‘Aîsha à tous ceux qui voulaient, à Médine, revivre cette expérience.

L’Hégire le début du calendrier lunaire islamique
‘Umar Ibn Khattab decidera plus tard que cet évènement unique marquerait le début de l’ère islamique, qui commence ainsi en 622, selon un décompte se fonda sur les cycles lunaires.

L’exil, enfin, au nom de Dieu, est une série de questions que Dieu pose à chaque conscience :

-                  Qui es-tu ?
-                  Quel est le sens de la vie ?
-                  Où vas-tu ?

L’exil spirituel ramène l’individu à soi et le libère des illusions de ce monde.
Accepter le risque de cet exil, faire confiance à Dieu c’est répondre : 


« Par toi je reviens à moi et je suis libre. »



Yathrib 786

31 décembre 2017

24 décembre 2017

Yathrib devient Médine



Dieu avait le pouvoir de sauver son Envoyé (PSL). Celui-ci émigra en veillant à ne jamais rien devoir aux hommes. Il refusa les dons, régla les dettes et fit restituer les dépôts en sa possession. Il avait la conviction de tout devoir à l’Unique, Exalté soit-il. Sa dette et sa dépendance à Son égard étaient somme toute infinies. 

Abu Bakr avait recouru aux services d’un bédouin non musulman, ‘Abd Allah ibn Uraïqat, pour les guider et les mener à Yathrib par des chemins peu connus et discrets. ‘Abdallah était polythéiste mais avait respecté la parole donnée. Il connaissait mieux que personne les chemins escarpés et protégés. Au moment du départ, ‘Abdallah ibn Uraîqat vint les trouver à la caverne avec les deux chamelles et ils firent route vers l’ouest puis vers le sud, avant de prendre le chemin du nord vers Yathrib.

Ils atteignirent ‘Aqiq  et gravirent les pentes noires et accidentées  qui s’étendaient de l’autre côté. Lorsqu’ils parvinrent au sommet de la pente, « le pays bien arrosé entre les deux étendues de pierres noires », ce lieu dont le Prophète Muhammad (PSL) avait tant rêvé était là, devant eux. Cet oasis où se mêlaient le gris-vert des bosquets de palmiers et le vert plus tendre des vergers et des jardins.

Le voyage était périlleux. Ils étaient certain que si les Quraysh rattrapaient ou découvraient les trois voyageurs, ils n’hésiteraient pas à les tuer et à mettre fin aux activités subversives du Prophète Muhammad (PSL).Ce dernier et son compagnon s’en étaient remis à Dieu.

L'histoire de Salmân
Le voyage dura vingt jours. Ils arrivèrent enfin dans un petit village, Qubâ, situé à l’extérieur de Yathrib. Les gens guettaient déjà son arrivée non sans inquiétude ni impatience. Ils avaient pris toutes les dispositions pour le protéger de tentative d’enlèvement. Beaucoup d’autres visiteurs se présentèrent pour saluer le Prophète Muhammad (PSL) ou faire sa connaissance, dont de nombreux juifs de Yathrib attirés par la curiosité. Parmi ces visiteurs, un homme qui, selon les apparences, n’était ni arabe ni juif. D’origine Perse, il se nommait Salmân. Il était né dans le village de Jayy, non loin d’Ispahan, de parents zoroastriens, puis devenu chrétien. Il avait, jeune encore, gagné la Syrie. Par la suite, il avait vécu en Iraq où il fut le disciple de plusieurs sages nazaréens jusqu’au jour où l’un d’entre eux, à l’article de la mort, lui eut déclaré que le moment était venu où un nouveau prophète allait apparaître :


« Il sera envoyé avec la religion d’Abraham, et se manifestera en Arabie où il émigrera de son foyer natal vers un lieu situé entre deux coulées de lave, une contrée de palmiers. Ses signes seront évidents : il mangera d’une nourriture offerte, mais non si celle-ci est donnée en aumône, et, entre les épaules, il y’aura « le sceau de la prophétie ». Un sage Nazaréen


Salmân résolut donc de rejoindre le prophète annoncé et paya un groupe de marchands pour qu’ils l’emmenèrent avec eux en Arabie. Mais près du golfe de ‘Aqaba, au nord de la mer Rouge, les marchands le vendirent comme esclave à un juif qui le vendit par la suite, à l’un de ses cousins de la tribu des Bani-Qurayza à Yathrib. Ayant entendu parler de l’arrivée prochaine du Prophète Muhammad (PSL) à Yathrib, Salmân fut instantanément persuadé que c’était là le prophète qu’il appelait de ses vœux. Il sortait furtivement de la maison où il servait et, de nuit, se rendit à Qubâ. Il le trouva assis au milieu de nombreux compagnons et, bien que sa conviction fût déjà faite, il s’approcha de l’hôte et lui offrit un peu de la nourriture qu’il avait apportée, précisant qu’il la donnait en aumône. Le Prophète Muhammad (PSL) dit à ses compagnons d’en manger, mais lui-même n’y toucha pas. Salmân souhaitait aussi voir «le sceau de la prophétie», mais n’y parvint pas. Il rentra cependant à Yathrib le cœur rempli de joie et d’espoir. Il avait reconnu celui dont on lui avait dit qu’il allait venir.
Affranchi par la suite, et passé à l’Islam, Salmân Pâk, "Salmân le Pur " aurait indiqué au Prophète Muhammad (PSL) les antécédents bibliques de certaines des fulgurantes intuitions de celui-ci et l’aurait rassuré, chaque fois qu’un doute s’emparait de son esprit à cause du « susurrement d’Iblîs » au tréfonds de sa conscience. La sirâ affirme d’ailleurs que le Prophète Muhammad (PSL) finit par convertir son démon personnel. Cette gêne malfaisante qui accompagne le pas de chacun. Salmân al-Farsî, Salmân le Persan, témoin du mystère jaillissant de la Prophétie, sera perçu par la mystique soufie comme l’un de ses inspirateurs illuminant.

Le Prophète Muhammad (PSL) resta trois jours dans le village où ils construisirent une mosquée, la première de l’émigration. Le Prophète Muhammad (PSL) agira de la sorte à chacune des étapes le menant à son installation définitive à Yathrib.


« Si vous ne lui portez pas secours... Allah l’a déjà secouru, lorsque ceux qui avaient mécru l’avaient banni, deuxième de deux. Quand ils étaient dans la grotte et qu’il disait à son compagnon: «Ne t’afflige pas, car Allah est avec nous.» Allah fit alors descendre sur Lui Sa sérénité «Sa sakîna» et le soutint de soldats (Anges) que vous ne voyiez pas, et Il abaissa ainsi la parole des mécréants, tandis que la parole d’Allah eut le dessus. Et Allah est Puissant et Sage. » Sourate Tawba 9, verset 40
L'arrivée à Yathrib

Quand il quitta Qubâ’, le Prophète Muhammad (PSL) prit la route de Yathrib et s’arrêta à midi, à l’heure de la prière, dans la vallée de Rânûnâ’. Il y effectua avec ses compagnons la première prière du vendredi et, ici encore, une mosquée allait être établie. Il se dirigea ensuite vers le centre de la cité. Nombreux furent ceux qui l’arrêtaient et l’invitaient à demeurer chez eux. Il leur demanda de laisser aller Qaswâ’, sa chamelle, qui lui indiquerait le lieu exact où il s’installerait. Celle-ci se fraya un chemin, puis revint, puis s’arrêta enfin près des terres appartenant à deux orphelins, et le Prophète (PSL) paya le prix qui leur était dû.  Sa demeure allait donc être construite en ce lieu, de même qu’une mosquée.

Le Prophète Muhammad (PSL), par ce geste trois fois répété, marquait ainsi l’importance et la centralité de la mosquée dans le rapport à Dieu, à l’espace et aux collectivités humaines. La construction du masjîd (le lieu où l’on se prosterne) institue un espace particulier, sacralisé au sein de la sacralité première et essentielle de l’univers entier.


« La terre entière est un masjîd, une mosquée. » Hadîth rapporté par al-Bukharî


La mosquée ainsi construite devient l’espace axial de la communauté spirituelle musulmane où qu’elle se trouve, mais elle signifie également la réalité de l’installation, de l’acceptation de l’espace d’accueil et de sa transformation en espace pour soi, chez soi.

La présence de la mosquée révèle de fait qu’un lieu, une ville ou un village, a été adopté et que la conscience croyante est « à la maison », parce que le lieu d’adoration qui, par essence, rappelle le sens, y a été institué.

L’acte répété du Prophète est en soi un enseignement : quel que soit l’exil ou le voyage, quels que soient le mouvement et les départs, il ne faut jamais perdre, nulle part sur la terre, le sens et la direction. Les mosquées disent le sens, la direction et l’installation.

Yathrib est devenue Médine.

Yathrib 786
Le 24 décembre 2017

17 décembre 2017

« Une époque, un lieu et un destin… » Le Père Henri LAMMENS



Mëme le Père Lammens qui n’aimait ni l’Islam ni Le Prophète Muhammad (PSL) relevait :



« L’hégire coïncida avec une de ces périodes de réaction, d’abattement moral, où la Péninsule travaillée, excédée par les discordes, paraissait attendre un maître. » Henri LEMMENS, le Berceau de l’Islam, Rome, 1914



Le Prophète Muhammad (PSL) n’était ni fataliste ni inconscient. Sa confiance en Dieu était totale. Il ne se laissât jamais mener au gré des évènements et des difficultés.

La Révélation lui avait rappelé de ne jamais oublier de dire «In shâ Allah» quand il s’agissait d’agir. Humilité et confiance étaient les piliers qui guidaient le Prophète Muhammad (PSL) en de pareilles circonstances.



Le Prophète Muhammad (PSL) avait planifié l’émigration vers Médine (l’Hégire) depuis près de deux ans et rien n’avait été laissé au hasard. Ce n’est qu’au terme de l’usage intelligent et rigoureux de ses pouvoirs humains qu’il s’en remit à la volonté du Divin enseignant ainsi pour nous tous le sens du (at-tawakkul ‘alâ Allah : la confiance en Dieu ou s’en remettre à Dieu). Cette attitude revient ainsi pour le Prophète Muhammad (PSL) à assumer toutes les qualités intellectuelles, spirituelles, psychologiques, sentimentales, etc. Dans cette perspective, chacun devait se munir de ses qualités pour ainsi se souvenir humblement (le Rappel) qu’au-delà de ce qui est humainement possible, Lui seul (Allah) est le garant des possibles.



 Dieu n’agira qu’au-delà et après que l’être humain aura, à son niveau, cherché et épuisé toutes les potentialités de l’agir. C’est le sens profond du verset :



« Certes Dieu ne change pas ce qui est en un peuple, avant que ceux-ci ne changent ce qui est en eux-mêmes. » Sourate 13, verset 1



Le Prophète Muhammad (PSL) et Abû Bakr décidèrent donc de quitter La Mecque pendant la nuit et de prendre la direction du Yémen, pour ne pas attirer l’attention ni être rattrapés sur la route.

Abû Bakr offrit au Prophète Muhammad (PSL) le meilleur des deux chameaux (Qaswâ’) qu’avait amenés un bédouin fraîchement converti à l’Islam. Sur ordre du çiddîq (Abû Bakr).



« Je ne monterai pas un chameau qui ne m’appartient pas. » Dit le Prophète Muhammad (PSL)

« Mais il  est à toi, O Envoyé d’Allah ! répondit Abû Bakr

« Non, mais dit moi le prix auquel tu l’as payé. » dit le Prophète (PSL) Ibn Hishâm



Il remit la somme indiquée à Abû Bakr. En fait, le Prophète Muhammad (PSL), ayant été le seul responsable de l’Hégire, voulait sans doute que cette solitude dans la décision lui appartient jusqu’au bout. C’est lui désormais à qui il revient de tout assumer, dans une grandeur qui n’est pas sans rappeler celle de Moïse dans le Poème d’Alfred de Vigny : la rupture avec tous les liens antécédents ne peut être, symboliquement, que la seule décision de l’homme de Dieu et elle ne saurait être partagée avec personne, même avec le plus fidèle des compagnons.



L’Hégire est donc l’occasion solennelle pour le Prophète Muhammad (PSL) d’indiquer que le franchissement du seuil de l’Histoire et de la transhistoire est son œuvre. La chamelle qu’il acheta ce jour-là Abû Bakr s’appelait Qaswâ et elle restera, avec son cheval, l’autre monture favorite du Prophète Muhammad (PSL).



Ils partirent donc vers le sud et allèrent se cacher quelques jours dans la caverne de Thawr (gbâr Thawr). Le fils d’Abû Bakr, ‘Abd Allah, était chargé de glaner des informations sur les plans des Quraysh et de venir les  transmettre à son père et au Prophète Muhammad (PSL).



Quant à ses deux filles, Asmâ’ et ‘Aïsha, elles préparaient les vivres et les amenaient discrètement à la caverne pendant la nuit. Ainsi Abû Bakr avait-il mobilisé ses enfants pour protéger sa fuite et celle du Prophète Muhammad (PSL). Il agit ainsi dans une situation qui exposait ses filles à de grands dangers, et il est bon de rappeler ici que cette attitude sera une constante dans sa façon de traiter équitablement ses filles et ses garçons, ceci à la lumière des enseignements du Prophète (PSL).



Malgré toutes ces dispositions, un groupe de Quraysh, flairant la ruse, se rendit dans le sud à la recherche du Prophète Muhammad (PSL). Ils parvinrent devant la grotte et s’apprêtèrent à y rentrer. De là où il se trouvait, Abû Bakr les voyait et, alarmé, il fit remarquer au Prophète (PSL) que, si ceux-ci se penchaient, ils ne manqueraient pas de les découvrir. Le Prophète Muhammad (PSL) le rassura et lui murmura :



« N’aie pas peur, Dieu est certes avec nous. »

Pui il ajouta : « Que penses-tu de deux (individus) dont le troisième est Dieu ? » Ibn Hishâm



Ces mots apaisèrent Abû Bakr. Devant la caverne, le groupe observa qu’une toile d’araignée couvrait l’entrée et qu’une colombe y avait installé son nid : ils paraissaient clair qu’il est impossible que les fugitifs soient cachés à l’intérieur, et ils décidèrent donc de poursuivre ailleurs leur recherche.



Une fois encore, malgré une stratégie bien pensée et réfléchie de longue date, voilà que le Prophète Muhammad (PSL) et Abû Bakr  revivaient l’épreuve de la vulnérabilité. Leur vie n’avait au fond tenu qu’à la présence de cette fragile toile d’araignée. Voilà le sens du ‘at-tawakkul ‘alâ Allah que le Prophète Muhammad (PSL) rappela à Abû Bakr à cet instant précis, prenait tout son sens et toute sa force.



L’Hégire, c’est d’abord cet enseignement essentiel au cœur de l’expérience prophétique : une expérience, une confiance en Dieu qui exige, sans arrogance, une absolue indépendance vis-à-vis des hommes et la reconnaissance, avec humilité, d’une infinie dépendance vis-à-vis de Dieu.



A suivre



Yathrib 786

17 décembre 2017